Benoit Hamon : chronique d’un renoncement annoncé

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Puisque de toute évidence il n’y aura pas d’union « Hamon, Jadot, Mélenchon », nous revoilà face à la question déprimante: quel est le vote utile?
Je ne crois pas que Hamon soit celui-là, pour trois raisons. L’une a trait à sa stratégie européenne, la seconde à sa stratégie parlementaire et la dernière à ses agissements de « frondeur ».

La victoire de Benoit Hamon à la primaire de la « Belle Alliance Populaire » (j’ai encore du mal à écrire ça sans rire) suscite, c’est bien normal, un enthousiasme à gauche. La première déception n’a cependant pas tardé puisque le nouveau candidat a exclu toute discussion avec Jadot ou Mélenchon pour une candidature unique, affirmant d’emblée: « Il y aura un bulletin Hamon à la présidentielle ». A défaut d’union, il faut donc choisir, et voilà que resurgit la vieille question déprimante du « vote utile ». Je voudrais ici dire pourquoi je ne crois pas que le vote Hamon soit celui-là.

En apparence, les objectifs d’Hamon convergent avec ceux de la France Insoumise: il s’agit de mener une politique écologique et sociale. Je n’entrerai pas dans les mérites comparés des mesures proposées et ne poserai qu’une question : comment financer ces politiques ambitieuses ? Hamon comme Mélenchon affirment leur volonté de rompre avec le dogme des 3% maximum de déficit public. Cela suppose de sortir des traités européens dont ce dogme est la pierre angulaire, et donc de s’affronter à ceux qui s’en sont fait les gardiens : la Commission Européenne et les gouvernements allemand ou néerlandais pour ne citer qu’eux. La crise grecque et les politiques infligées à l’Italie et l’Irlande ont mis en évidence l’inflexibilité de ces interlocuteurs, eux-mêmes soumis à la pression de clientèles électorales qui n’accepteraient pas de bon coeur ce qu’elles percevraient comme une complaisance envers le « laxisme Français ». Comment faire ? Hamon n’en dit rien. Il se contente d’un vœu pieux : il s’estime capable de « forger une alliance interétatique, politique et sociétale pour imposer un moratoire sur le Pacte de stabilité et le TSCG ».

C’est sur la base de ce vœu pieux que Hamon tente de se distinguer de Mélenchon qui, dit-il, « semble dissimuler un Frexit ». Mélenchon ne dissimule rien du tout : il dit de façon parfaitement claire qu’il a un plan A et un plan B. Or le plan A n’est rien d’autre que le plan de Benoit Hamon lui-même : obtenir par la négociation l’abolition des traités budgétaires. Mais parce qu’il prend la mesure de l’inflexibilité de ses interlocuteurs, Mélenchon oppose une égale intransigeance : la renégociation est la condition sine qua non du maintien de la France en Europe. A défaut, il y aura bien « Frexit », dont le plan B doit étudier les modalités. Sans cette menace, la négociation est de toute évidence vouée à l’échec.

Ce n’est pas seulement parce qu’il ose dire qu’on ne peut faire l’Europe à n’importe quel prix que la stratégie de Mélenchon est plus robuste que celle d’Hamon. Hamon le sait bien : le fonctionnement des institutions européennes empêche toute « réorientation » de l’Europe par la voie légale. Il faudrait, pour obtenir la sortie des traités, que celle-ci soit ratifiée à l’unanimité : autant dire que les fanatiques de la rigueur ont un droit de veto dont ils ne se priveront pas d’user. Il s’agit donc de provoquer une crise institutionnelle par la désobéissance aux traités. Cette stratégie de désobéissance a été mise au point dès 2012 par le Front de Gauche, aussi bien sur les plans économique que juridique et politique, et exposée avec force détails dans un livre de Jacques Généreux : Nous, on peut ! Ce livre prend en considération tous les obstacles auxquels il faudra faire face – et ils sont de taille. Il est évident, par exemple, que le seul fait que l’élection d’un candidat appelant à sortir des traités devienne probable suffirait, avant même sa victoire, à provoquer une fuite des capitaux, une baisse des cours de bourse et autres calamités. Sur toutes ces questions, que pense Benoit Hamon ? Rien. Face à ce « rien » je ne sais plus que penser : est-il d’une infinie naïveté ? Ou bien refait-il ce que fit François Hollande qui avant lui avait promis de renégocier le traité de Lisbonne, sans réellement en avoir l’intention, pour donner des gages à sa gauche ?

On ne saurait exagérer l’importance de la question des traités car tout y tient. Sans sortie des traités, pas de déficits, donc pas de relance par la demande (c’est l’un des objectifs du revenu universel) ni d’investissements dans la transition énergétique. Autant dire que tout le programme de Hamon part en fumée.

A supposer qu’Hamon parvienne à sortir des traités (on ne sait pas comment), il ne serait pas sorti de l’auberge. Lorsqu’Hamon parle d’investir dans la transition énergétique, qu’a-t-il en tête ? Il n’a jamais dit clairement s’il entend que les tâches liées à la transition énergétique soient menées par des entreprises publiques, ou s’il entend subventionner des entreprises privées pour les mener à bien. Rappelons que les traités européens interdisent les subventions publiques aux entreprises, qu’elles considèrent comme des entraves à la concurrence libre et non faussée. Autre bras de fer. Il faut enfin souligner que l’UE interdit les banques publiques (la BPI créée par Hollande n’a pas de licence bancaire, c’est-à-dire qu’elle ne peut prêter que l’argent qu’elle a en caisse et non, comme le font toutes les banques privées, créer de l’argent par la dette. Elle ne fut créée que pour jeter de la poudre aux yeux quand Hollande était attaqué pour avoir ratifié le Traité de Lisbonne, mais elle est si insignifiante qu’aujourd’hui plus personne n’en parle). C’est un autre point sur lequel Mélenchon entend désobéir. Qu’en dit Hamon ?

Bref, Hamon n’a pas de politique européenne et toute sa politique sociale et écologique en est ruinée d’avance.

Il y a d’autres raisons de douter de sa sincérité. Benoit Hamon, après avoir affirmé qu’il ne se désisterait pour personne, a dans le même souffle montré patte blanche. Il est bien pour le rassemblement de la gauche, mais après l’élection, sous la forme d’une « majorité parlementaire » qu’il appelle Mélenchon et Jadot à constituer. Cette proposition est louche pour plusieurs raisons. La première, rappelée par Mélenchon dans sa réponse, est que Hamon, candidat du PS, n’est pas pour autant secrétaire du parti. Il n’a donc pas le contrôle des investitures aux élections législatives, qui sont pour la plupart déjà décidées. Or si la primaire a confirmé que les sympathisants socialistes tendent à gauche, le parti tend à droite : ces candidats, investis par un appareil sous le contrôle de Cambadélis, sont majoritairement à la droite du PS. Qu’attendre de parlementaires nommés Valls, El Kohmri, Vallaud-Belkacem et consort ? Dès son élection, Hamon aura à son tour ses propres frondeurs, du fait des divisions internes au PS. Que feront-ils ?

Un fait mérite d’être souligné : après avoir prêché pendant des mois la loyauté et le rassemblement, le PS voit des députés rallier Macron. Or je n’ai entendu aucun cacique appeler à ce qu’un tel ralliement soit sanctionné d’une exclusion du PS ou d’une déchéance de l’investiture. Sur la lancée d’une dynamique née d’une éventuelle victoire de Hamon, le PS ferait donc élire des partisans de Macron aux législatives ! On ne saurait mieux se mettre en situation d’impuissance : être un président sans majorité. Qu’en pense Hamon ? Rien – mais son porte-parole Guillaume Balas balaie ces questions d’un revers de main usant d’un argument d’une originalité folle: se les poser, c’est empêcher le rassemblement. Il faut pourtant être bien naïf pour ne pas s’inquiéter de l’attitude du PS face à son candidat. Ceux qui, comme Gérard Filoche, comparent Hamon à Jeremy Corbyn, devraient en effet tirer les leçons des déboires de ce dernier : élu secrétaire national de son parti, il avait bien plus de pouvoir que son homologue français et fut pourtant écrasé sans pitié par l’appareil (avec la complicité de la presse prompte à moquer la « gauche de l’utopie ») au point de n’être plus aujourd’hui pour personne un candidat crédible à l’élection générale.

L’appel à une majorité parlementaire est louche pour une autre raison : si le PS était de gauche, cette majorité serait déjà à l’œuvre. Pendant toute la durée du quinquennat, Mélenchon n’a eu de cesse d’appeler les députés PS à faire bloc avec les écologistes et le Front de Gauche pour voter contre le gouvernement. Le président n’aurait alors eu d’autre choix que de nommer un premier ministre qui aurait eu le soutien de la majorité, ministre choisi sur sa gauche : Hamon ou Montebourg, par exemple. Jamais les députés PS n’ont rompu les rangs, se contentant d’abstentions qui ne remettaient rien en cause.

Leur complaisance a été particulièrement évidente lorsque le gouvernement usa du 49.3. Les prétendus frondeurs n’ont jamais envisagé de voter une motion de censure, et se sont justifiés de leur dérobade par un seul argument : faire tomber le gouvernement, c’était remettre la droite au pouvoir. Bien que tous les journaux aient entériné cet argument, il est totalement faux. L’argument suppose que la censure du gouvernement entraînerait mécaniquement la dissolution de l’Assemblée Nationale et donc des élections législatives que la droite aurait gagnées. Or ce n’est pas ce que prescrit l’article 50 de la Constitution : en cas de motion de censure, le premier ministre démissionne et le président doit en nommer un autre, qui forme un nouveau gouvernement. Si les frondeurs avaient censuré le gouvernement, ils auraient tout simplement contraint Hollande à nommer l’un d’eux premier ministre, pour qu’il forme un gouvernement auquel la majorité parlementaire aurait accordé sa confiance.

Conclusion : cela fait quatre ans que Benoit Hamon pouvait s’atteler à « tourner la page » et réorienter le gouvernement vers la gauche. Il n’en a jamais rien fait ; il ne s’est livré qu’à quelques déclarations médiatiques, assorties d’abstentions sans conséquence, pour construire une crédibilité de gauche dont il recueille aujourd’hui les fruits. C’est bien joué – un beau bluff. Mais nous aurions bien tort de tomber dans le panneau.

Bien sûr, un gentil Benoit Hamon qui promet de renverser la forteresse néolibérale qu’est l’Union Européenne sans douleur ni violence ni éclats de voix, c’est plus agréable qu’un Mélenchon qui appelle à la révolution citoyenne. Mais il faut voir les choses en face : nous ne vivons pas une époque agréable et les épreuves qui nous attendent ne seront pas une partie de campagne. Il n’y a pas de solution de facilité. Hamon est trop beau pour être vrai : en ces temps extrêmes, c’est la radicalité, et même la promesse de lendemains difficiles, qui devraient être les marques de la crédibilité.

(3 commentaires)

    • ch4204 on 2 février 2017 at 12 h 12 min
    • Répondre

    Ben oui… on en est là…
    Au lieu d’avoir une candidature unitaire derrière le candidat au programme ayant la plus grande cohérence politique… à savoir celui de la France Insoumise.

    • ERASMI on 2 février 2017 at 13 h 40 min
    • Répondre

    Dans un forum qu’ils animent, les soutiens de HAMON s’agitent, et poursuivent leurs magouillages partisans :HAMON président, MELENCHON 1er ministre, avec la bénédiction de JADOT et même de LAURENT. Je crois qu’ils vont nous bassiner durant des semaines encore. Pour qu’ils comprennent que nous n’avons plus rien à faire de ces stratégies d’un autre siècle, IL FAUT QU’ILS DISPARAISSENT !

    En ce qui me concerne, je leur ai écrit en ces termes :

     » Monsieur FILOCHE (sous réserve que vous êtes l’unique rédacteur de ces commentaires sous ce pseudo), vous croyez vraiment à ce que vous écrivez, surtout quand vous déclarez : » Il faut contraindre Mélenchon « .
    Drôle de manière d’envisager une quelconque alliance.
    À une époque lointaine, le leader du PS – qui avait pour nom François MITTERAND – nous a entrainé dans ce type de rassemblement, au même moment où il déclarait vouloir siphonner les voix du PCF, en termes plus modérés, mais tout aussi « unitaires » . On voit aujourd’hui où en est rendu le peuple français.
    Toute l’histoire de la gauche est jalonnée des pressions des « réformistes », et de leurs traitrises, aux dépends des révolutionnaires.
    Vous pensez nous berner encore et encore ?
    Depuis des mois vous nous bassinez avec votre rassemblement qui n’est autre que du lobbying
    pour ce qui reste du PS, un parti bien oblitéré par sa gestion libérale qui le classe pour longtemps, si ce n’est définitivement à droite.
    Votre « nouveau » leader, et vous avec lui, risquez de nous conduire à une réelle catastrophe, si nous vous suivons. « 

    • Gilles on 2 février 2017 at 22 h 54 min
    • Répondre

    C’est un excellent article. Merci Mr Tonneau.

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