Pour avoir suivi une trajectoire similaire, sauf l’épisode NPA, je partage avec Raoul Marc JENNAR cette analyse de la décennie écoulée, et le sentiment de gâchis qui en résulte. Pour autant, je ne le suivrai pas sur son ultime conclusion, et me garderai bien de ne plus participer aux débats, ne serait-ce que pour ne pas laisser le champ libre aux adeptes de la pensée unique. Avec son autorisation, je vous livre le contenu intégral de son post, visible sur son blog à l’adresse : www.jennar.fr
» A partir de 1999, je me suis adressé aux Françaises et aux Français à travers des articles, des livres et des conférences. Je l’ai fait d’abord pour alerter sur l’Organisation Mondiale du Commerce et les accords qu’elle gère, instruments de la mondialisation néo-libérale voulus, négociés et adoptés par nos gouvernements et ratifiés par nos parlements. Je me suis surtout concentré sur l’Accord général sur le commerce des services (AGCS) dont la mise en oeuvre progressive conduit au démantèlement par étapes de tous les services publics et à l’ubérisation de nos sociétés et aussi sur les droits de propriété intellectuelle qui réduisent l’accès aux médicaments essentiels, favorisent les manipulations génétiques sur le vivant végétal, animal et humain et portent gravement atteinte à la biodiversité en légalisant la bio-piraterie. Ce qui m’a amené à mettre en lumière le rôle néfaste de l’Union européenne dans ces domaines, notamment par un livre à l’origine d’une évolution de mon engagement dans la sphère politique : « Europe, la trahison des élites ».
Ce livre, dont un chapitre analysait le projet de traité constitutionnel européen, m’a conduit, en 2004, à être, avec Yves Salesse, le co-auteur de l’appel des 200 pour un « non » de gauche au TCE et à devenir un des animateurs de la campagne pour ce « non ». Ce rejet du TCE se fondait sur l’espoir d’une possibilité de réformer l’UE. C’était un « non » pour un « oui » à une autre Europe, plus démocratique, plus sociale, plus écologique. J’ai animé 132 réunions publiques en 2004-2005. Notre victoire m’a conduit à participer, avec des centaines d’autres, à une tentative de transformer l’essai à l’occasion de l’élection présidentielle de 2007 en élaborant un projet politique qui serait porté par une candidature commune. Nous avons passé toute l’année 2006 à travailler sur 125 propositions émergeant de dizaines de comité unitaires antilibéraux, les fameux CUAL. Mais nous nous sommes fracassés sur le choix de cette candidature, le PCF entendant imposer à tout prix sa candidate. Un authentique rassemblement alternatif se brisait sur la volonté d’un appareil politique partisan. Première immense déception.
Sur les ruines de la gauche après l’élection de Sarkozy, rien n’a bougé pendant des mois. Et puis est survenue la proposition de la LCR de se dissoudre pour créer un rassemblement plus vaste, chacun apportant la richesse de ses engagements antérieurs. Ce fut le NPA où je me suis engagé après un échange épistolaire public avec Daniel Bensaïd. Ce projet fut très bien accueilli et les adhésions furent nombreuses jusqu’à dépasser les 9000. J’ai participé au processus constitutif, au congrès fondateur, puis à l’exécutif du NPA. Le grand débat, alors qu’approchait l’élection du parlement européen de 2009 était la question de l’unité à la gauche du PS. Mélenchon avait quitté le PS et créé le PG qui s’est lui même associé au PCF au sein du Front de Gauche. Celui-ci nous proposait une démarche unitaire. Nous répondions positivement à condition que cette démarche ne soit pas réservée aux seules élections européennes, mais aussi aux scrutins qui allaient suivre : régionales, puis municipales. Ce que le FdG a refusé. Le NPA est parti seul aux élections et n’a eu aucun élu. Cet échec a provoqué au sein du NPA une sorte de repli sur soi accompagné d’une reprise en main par les anciens cadres de la LCR dans la plus classique des logiques d’appareil. Et des milliers d’adhérents sont partis sur la pointe des pieds. Une deuxième grande déception provoquée une nouvelle fois par la capacité de nuisance d’un appareil.
J’ai rallié alors le PG. Mais j’ai très vite observé que son fonctionnement portait en lui tous les défauts du PS, avec un dirigeant principal n’accordant sa confiance qu’à un premier cercle de proches inconditionnels. Par ailleurs, l’affrontement des appareils cartellisés dans le FdG conduisait rapidement à l’impuissance de celui-ci. Le Front de Gauche portait en lui une espérance. La volonté hégémonique du PCF, qui avait déjà détruit l’espérance des CUAL, et ses liens avec un PS dont il condamnait en même temps les politiques, reproduisaient les mêmes effets destructeurs. Troisième déception.
J’ai pris du recul, observant la dérive d’un Mélenchon de plus en plus attiré par une pratique solitaire de l’action politique. Son mouvement en faveur d’une VIe République, dans laquelle Mélenchon et ses fidèles se réservaient une capacité de contrôle absolue sur le M6R, a servi en quelque sorte de laboratoire pour ce qui fut ensuite la France Insoumise. Le projet politique qui en est sorti représentait cependant une véritable alternative démocratique, sociale et écologique, même s’il était entaché de quelques fantaisies bolivaristes. Le candidat qui portait ce projet apparaissait comme le seul choix possible à gauche, un choix certes par défaut, mais qui offrait le véritable vote utile pour qui adhère à des valeurs reniées et désertées par le PS et ses différents candidats potentiels. Quel qu’il fut, un candidat du PS, à mes yeux, avait perdu toute crédibilité. Le soir du 23 avril apporta la belle surprise de voir Mélenchon obtenir plus de 7 millions de voix, ce qui le situait électoralement au même niveau que Fillon et Le Pen. Il obtenait la première place dans de nombreuses villes importantes et dans de nombreuses circonscriptions. Compte tenu de l’absence de dynamique unitaire, avec un PCF envoyant des signaux contradictoires, ce résultat devait être considéré comme une très grande victoire. Mais au lieu de cela, on assistait au spectacle démobilisateur d’une déception injustifiée et d’une contestation du résultat. Au lieu de mobiliser son électorat sur les enjeux à venir – les législatives – le candidat laissait éclater ses blessures d’amour propre, relayées jusqu’à la stupidité par ses représentants sur les plateaux de télévision. Par la suite, tout est allé dans le même sens, démontrant une incapacité d’être à la hauteur des responsabilités que confère la confiance de millions de femmes et d’hommes. Les aboiements et les éructations, un temps disparus, reprirent de plus belle. Et n’ont plus cessé depuis. L’esprit partisan de l’appareil dirigeant de la France Insoumise, qui se confond avec l’appareil du PG, expliqua le refus d’ouvrir les candidatures aux législatives à des compagnons de route qui apportaient pourtant une immense valeur ajoutée. Avoir écarté la candidature de Monique Pinçon-Charlot relève du sectarisme le plus imbécile. Ce ne fut malheureusement pas le seul cas emblématique d’une démarche où l’idée de rassemblement a été ravalée au niveau du ralliement inconditionnel. Aujourd’hui, le spectacle de la compétition stérile entre deux groupes parlementaires prétendant chacun au monopole de la radicalité de gauche est indigne des souffrances des millions de femmes et d’hommes victimes du système. Quatrième déception.
Et la dernière. Parce que chaque fois, j’y ai cru. Parce que chaque fois, j’ai cru devoir inviter mes lecteurs et mes auditeurs à m’accompagner dans le soutien apporté à ces tentatives de rassemblement. Parce que chaque fois, la logique des appareils à tué l’espérance à laquelle j’ai contribué.
Je n’ai pas la prétention de me considérer comme un leader d’opinion et encore moins comme une conscience. Je me suis contenté d’agir en intellectuel engagé. Je regrette de m’être fourvoyé et d’avoir incité des gens à se fourvoyer aussi. Je les prie de croire à la sincérité de mes engagements successifs. Je renonce désormais à m’exprimer sur tout ce qui relève de la politique politicienne. »
Raoul-Marc JENNAR